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Ein Brief von Tomasz Różycki

Tomasz Różycki, born 1970, poet, essayist. Author of several volumes of poetry (the last one: »Litery« in 2016) and prose (the last one: »Tomi« in 2013). He has translated French poetry (Segalen, Mallarme). He has gained critical acclaim for the book-length poem »Twelve Stations« and »Colonies«. His books both in original and in translation gained Kościelski Prize and Nother California Poetry Prize, were shortlisted for the Nike Prize, The Szymborska Award, the Griffin Poetry Prize, Oxford Winefeld Prize and others. Fellow of DAAD Artist-in-Berlin Program 2018, Senat of Berlin fellowship 2020.

Ma chambre, le 12 avril 2020

Cher Bruno,

il est vrai que je t’écris parce que je crois que l’internet est en quelque sorte comme des limbes et mes mots vont t’y rencontrer. Peut-être pas maintenant, peut-être pas de mon vivant mais finalement oui. 

C’est grâce à l’internet où on habite maintenant un peu plus que dans la réalite, j’ai vu les photos du Soleil prises à l’aide du téléscope de Hubble. C’est à propos de cela que je voudrais te contacter. L’idée que nous sommes éclairés, illuminés et rechauffés de loin par une énorme flamboyante sphère de gaz m’a fait penser à toi non par une correspondance ni association mais parce que nous sommes toujours devant une chose qui nous éblouit avec sa spéctacularité: la nuit d’août, le vent, le petit chien, le cul-de-sac d’un jardin oublié. 

Une chose de plus: on est renfermé dans les maisons et on ne peut pas sortir dehors - le monde devient de nouveau un phantasme, notre rêve d’enfance. C’est pourqui on voyage au Soleil sans sortir de son propre lit. C’est pourquoi je parle à toi qui es là-bas. C’est pourquoi tout devient si important: les murs, l’armoire, les ténèbres, la vue par la fenêtre. Le moment ou la lumière du soleil entre par la fenêtre dans la chambre et ouvre notre lit comme un cahier avec un esquisse du poème. Je crois qu’il faut le recréer, ce monde, en tournant dans son propre lit plusieurs fois - chacune fois une nouvelle vie, histoire, planète. Tu le sais bien, Bruno. Un jour le virus partira et nous, on sortira à la lumiere du jour. Et on va être ébloui par la beauté de ce monde, heureux comme enfant. Et il faut qu’il soit la, tout neuf. Je le souhaite à nous tous. Un jour on sortira et on commencera à donner des noms à tout. Ici, aujourd’hui, on pratique cela les yeux clos. On s’y applique dans les ténèbres. 

On s’habitue à cela. Presque toute la dernière guerre tu a passé en cachette, renfermé dans une armoire aux mannequins d’un atelier de la couture, parlant à des autres sublocataires: les mites et les cafards pendant qu’un virus surhumain se promenait dans les rues, abattant un à un les plus faibles. Une épidemie suit une autre, tu le sais bien et chaque fois les gens cherchent un bouc émissaire. Des fois, le monde ne nous accepte pas et il faut se cacher pour le restituer en fermant nos yeux. Il faut le recréer pour ceux qui viennent après nous. Ils vont demander ces ténèbres à l’exterier, ces ténèbres des limbes de l’internet: Qui est là? Y-a-t-il une vie? Ils vont chercher de l’espoir parce que avec le monde il faut toujours recréer l’homme. On n’a que ça, mon Bruno, on peut survivre longtemps grâce à cette nouritture humble: des lettres, des vers, des caractères noires que je t’envoie maintenant comme tu m’avais envoyé quand j’étais hors de ce monde, en cachette, renfermé, sans espoir, sans adresse.

Ton T.

 

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